Nov 27, 2024
Laboratoires durables : évolution, initiatives et importance

Article écrit en partenariat avec Le Labo Durable

La conscience écologique influence de plus en plus nos choix de vie et habitudes, mais dans le secteur scientifique, l’impact environnemental reste un sujet délicat. Longtemps, les laboratoires ont été perçus comme des espaces de progrès et de support à la production manipulant de petites quantités de produits. L’idée était de favoriser la recherche et les résultats d’analyses sans toujours prendre en compte leurs empreintes écologiques. Et à ce titre il n’a pas fait l’objet de travaux poussés afin d’identifier les hotspots environnementaux (points critiques), et encore moins de trouver des solutions pour une réduction de son impact.

C’est pour répondre à ce défi, que le Labo Durable, a été créé en 2021 par trois docteurs-ingénieurs. Leur objectif : apporter une réponse innovante pour accompagner les laboratoires vers une transition écoresponsable. Depuis 3 ans, ils ont créé des outils de suivi des indicateurs de performance environnementale, et mené des projets de recherche afin de créer les bases de données nécessaires à l’identification des hotspots environnementaux spécifiques de chaque laboratoire.

“Tout est mesuré, évalué, objectivé : pas de greenwashing, un laboratoire ne sera jamais zéro carbone au sens physique du terme, il faut être honnête !
C’est précisément ce qui nous rassemble avec les clients que nous accompagnons”
Bastien Raccary

Une situation qui évolue, et tant mieux !

Depuis quelques années, l’intérêt pour les enjeux environnementaux s’intensifie. La sécheresse en France en 2022, a notamment marqué un tournant selon Le Labo Durable. Les sujets environnementaux ont pris plus d’ampleur dans les médias grand public et cela s’est notamment ressenti dans les leurs activités.

« Depuis, on croule sous les demandes ! On constate aussi une véritable évolution dans la façon de communiquer sur ce thème. Il y a quelques années, on parlait d’empreinte/impact carbone sans différencier les deux, ou on faisait du bricolage avec des outils et des indicateurs non reconnus et non officiels. Ce qui amenait bien souvent à faire pire que mieux.»
Bastien Raccary

Aujourd’hui, les structures scientifiques ne peuvent plus rester en dehors du mouvement, des demandes RSE, de la comptabilité CSRD, des ruptures d’approvisionnement, des hausses de prix de l’énergie, etc. C’est ce qui amène de plus en plus de haut managers et directeurs à demander des actions structurées et objectivées par des analyses du cycle de vie (ACV) et c’est tant mieux !

Mais concrètement, quels sont les points critiques ?

La première question qu'on leur pose le plus souvent, c’est “quels sont les principaux facteurs d'émission de CO2 équivalent dans les laboratoires et comment je peux les réduire ? ”. Et évidemment, c’est humain de vouloir une réponse simple. Or la réalité est plus complexe.

"Nos idées initiales étaient similaires à celles de tout chimiste sensible aux enjeux environnementaux : nous pensions que les solvants, les consommables et les déchets constituaient les points critiques. C'est compréhensible, car ces éléments sont souvent au cœur des publications scientifiques traitant du sujet “chimie analytique verte”. Cependant, la réalité d'un laboratoire comprend aussi des flux moins tangibles ou plus complexes, des interactions avec divers intervenants, fournisseurs, etc."

Selon Bastien Raccary, il est crucial de désapprendre : “On nous a toujours enseigné que le méthanol était plus toxique que l'acétonitrile, selon les pictogrammes de sécurité. Pourtant, cette évaluation ne concerne que la phase d'utilisation du solvant. En considérant l'ensemble du cycle de vie — incluant la toxicité pour les personnes impliquées dans la fabrication du solvant, et pas uniquement pour les opérateurs de laboratoire — le constat est bien moins tranché, voire inverse.” Il est donc crucial de de prendre du recul et de replacer systématiquement les choses dans leur contexte global."

Pour bien appréhender la question, il est crucial d’inventorier les données d'achats, de comprendre les filières et de mesurer les consommations électriques, d’eau et de gaz. Le Labo Durable a conçu Consolab, un outil permettant aux laboratoires de suivre leurs indicateurs de performance environnementale au quotidien, offrant ainsi un « cahier de santé » pour mesurer les progrès.

Et donc, qu’est ce qu’on peut faire ?

Chaque laboratoire a ses spécificités, mais certaines pratiques peuvent être mises en place de manière systématique.

  • Des équipements à l’empreinte opaque
    Un enjeu primordial est l’achat d’appareillage (technique ou non). La chimie analytique est une science instrumentale, et pourtant il n’y a quasiment pas de données d’analyses du cycle de vie sur ces instruments.
    “Aujourd’hui, on peut trouver le score environnemental d’un t-shirt sur le site de Décathlon, mais celui d’un instrument sur lequel repose parfois la totalité d’une activité scientifique, impossible ! Il faut donc demander des comptes aux fournisseurs, afin que les achats des appareils fassent partie intégrante de la stratégie durabilité des laboratoires. Aujourd’hui, nous avons des clients qui demandent des ACV d’instruments dans leurs appels d’offres, et bien souvent ils n’ont pas de réponse ou alors une réponse très vague.”
    Face à ce manque, Le Labo Durable accompagne ses clients dans la demande de données environnementales dès la phase d’achat des équipements et constitue depuis cinq ans une base de données sur les équipements de laboratoire en les démontant et en effectuant leurs analyses de cycle de vie.

    Et ça marche aussi pour les consommables !
    Lors de l'achat, chaque choix peut avoir des conséquences : un simple solvant n’a pas le même impact selon son cycle de production, sa provenance, ou même le type de transport qui le mène au laboratoire.
  • Formation des équipes : un levier souvent sous-estimé
    Les habitudes en laboratoire sont tenaces, mais pour provoquer un réel changement, l’information et la motivation des équipes sont cruciales.
    "Nous observons une réelle motivation des équipes suite à la prise d'engagements concrets.
    Les opérateurs attendent des outils et des actions claires, les managers attendent des outils de pilotage et de reporting fiables, adaptés, pour valider le bien fondé des actions engagées. Si les différentes Fresques (Fresque du Climat par exemple) sont un bon début, elles sont très insuffisantes pour aborder avec pertinence les nombreuses questions qui jalonnent la journée d’un scientifique. C’est pourquoi le Labo Durable a consacré beaucoup de temps à préparer le contenu de ses formations et le rendre modulaire en fonction des publics.
    “Prendre en compte la spécificité des métiers de chacun nous a permis de préparer des contenus ciblés pour rendre concrètes les possibilités d’action en apportant du positif dans la vie quotidienne des participants.”
  • Les déchets : réduire avant de traiter
    Bien gérer ses déchets est aujourd'hui considéré comme « le minimum ». Cependant, une approche uniquement curative ne suffit pas ; il faut aussi être préventif.  L'enjeu actuel est de réduire la production de déchets à la source. Un exemple ? Plutôt que de multiplier les commandes d’un même produit, le Labo Durable propose de mutualiser les approvisionnements entre laboratoires proches afin de limiter les emballages.

Et dans le futur ?

Si la sensibilisation à la cause environnementale progresse, beaucoup reste à faire.

Les enjeux marketing poussent désormais les laboratoires à mettre en avant leurs efforts écologiques, et certaines contraintes externes rappellent l'urgence de ces initiatives en actions durables. Par exemple, les projections sur la raréfaction des métaux utilisés dans les instruments analytiques soulignent l’importance de solutions comme le recours au matériel reconditionné, l’allongement de la durée de vie des équipements et l’adoption de l’économie circulaire.

Cependant, ces ajustements de surface ne suffiront pas. Des changements structurels profonds et une volonté collective sont indispensables pour dépasser les ajustements de surface. L’initiative Product Environmental Footprint (PEF) de la Commission Européenne pourrait bien fournir un cadre harmonisé permettant d’évaluer l’impact environnemental des activités scientifiques. Dans ce contexte, les analyses de cycle de vie (ACV) jouent un rôle clé : elles offrent aux laboratoires un outil pour mesurer les conséquences de leurs choix et les ajuster. Toutefois, ces analyses, bien qu’essentielles, ne sont qu’un point de départ. Le véritable défi consiste à transformer leurs conclusions en actions concrètes, intégrées aux stratégies de long terme.

Enfin, aujourd’hui les échéances sont là : 2030, 2035. A l’échelle économique et industrielle, c’est demain et les chantiers à mener dans les laboratoires sont considérables. Même les dirigeants les plus éloignés de ces considérations se retrouvent dans l’obligation de tenir compte sérieusement de ce sujet car il en va de la survie de l’activité dont ils ont la responsabilité. Aujourd’hui, ignorer ou feindre l’ignorance n’est rien de moins qu’une faute professionnelle et malheureusement nombreux sont encore les responsables qui ne l’ont pas compris.

"Dans un avenir proche, avoir la machine dernier cri et le plus beau labo sera clairement dépassé. Le labo de l’avenir c'est le Labo durable !
C'est celui qui permettra de rendre des résultats utiles à la société dans la durée, de manière fiable, avec une maitrise totale de ses flux."
Bastien Raccary

On en est encore loin. Les habitudes sont tenaces.

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