George Longmore, fondateur de The Petri Dish et assistant de recherche à la Fondation Michael J. Fox, centre de recherche sur la maladie de Parkinson.
Maxime Mistretta PhD, CTO et cofondateur de Spore.Bio
Avec plus de dix d’expériences dans la recherche à nous deux: du développement de technologies émergentes en microfluidique jusqu’à l’application directe de recherche de pointe pour le traitement de la maladie de Parkinson. En tant que jeunes scientifiques, en début de carrière, les collaborations entre le milieu académique et l'industrie ont constamment marqué nos parcours.
Ces partenariats entre chercheurs et entreprises sont des mines d’or inexploitées, offrant des avantages clairs des deux côtés. Non seulement ils jouent un rôle crucial pour faire avancer l'innovation et transformer des idées révolutionnaires en réalité, mais ils permettent aussi d'apporter des expertises variées et des avantages financiers. Avec l’évolution rapide des sciences et des technologies, il est plus que jamais essentiel de rapprocher ces deux mondes.
Alors que les chercheurs sont souvent les pionniers des nouvelles technologies et des grandes découvertes théoriques, posant les bases d'innovations amenées à révolutionner des secteurs entiers et améliorer considérablement notre quotidien ; les entreprises ont les moyens de faire passer ces idées de la théorie à la pratique, les transformant ainsi en produits concrets et commercialisables. Ces différences de fonctionnement marquent la nécessité et la valeur de ces collaborations.
Ces partenariats ne sont pas toujours simples, ils apportent leurs lots d’obstacles, mais l’enjeu principal est de découvrir comment en tirer le meilleur parti et maximiser leur potentiel
Stratégies de Collaboration
On peut distinguer deux grands types de collaborations. D'une part, celles qui s’appuient sur l’expertise technique de chacun : les partenaires unissent leurs compétences pour relever des défis complexes ou atteindre des objectifs bien définis. D'autre part, il y a les collaborations qui visent à transformer les découvertes académiques en innovations concrètes pour l'industrie, en faisant passer des idées prometteuses du laboratoire à des applications réelles.
Exploiter l'Expertise Technique
Historiquement, les universités ont toujours été à l’origine d’avancées scientifiques. Des découvertes comme la pénicilline par Alexander Fleming ou la structure de l’ADN par James Watson, Francis Crick et Rosalind Franklin à l’Université de Cambridge sont devenues des bases de références dans la recherche médicale et biotechnologique. Les chercheurs académiques sont souvent des leaders d’opinion dans leurs domaines, avec une expertise hyper pointue sur leurs sujets.
Les laboratoires universitaires étant souvent les berceaux d’outils et de technologies de pointe, les institutions de recherche sont des partenaires clés pour les entreprises afin d’améliorer leurs produits et procédés. On peut prendre l’exemple du microscope Titan KriosTM, l’un des rares disponibles en Europe en 2018, qui a permis à l’Institut Pasteur d’approfondir l'exploration des structures cellulaires. Des outils comme celui-ci sont extrêmement utiles pour des partenaires industriels. Ils leur permettent de s’attaquer à des questions complexes qu’ils ne pourraient pas résoudre avec leurs seuls moyens. Ce type de collaboration, qui a déjà fait ses preuves, fonctionne parce que les objectifs sont clairs, les rôles bien définis et les accords de propriété établis à l’avance.
Mais comment établir ces partenariats alors que les priorités diffèrent ?
D'un côté, l’académicien se doit de publier ces travaux de recherche, tandis que de l'autre, l'industriel souhaite protéger la confidentialité de ses données.
Le fameux "publish or perish" (publier ou périr) est une pression constante pour les chercheurs. Leur besoin de se faire connaître, de trouver des financements et de faire progresser leur carrière les pousse à publier beaucoup et le plus fréquemment possible. L’industrie leur reproche fréquemment cette course à la quantité plutôt qu’à la qualité. Et cela a un coût : certaines études sont impossible à reproduire, ce qui coûte, par exemple, environ 28 milliards de dollars par an au secteur de la recherche préclinique.
Des préoccupations émergent au sujet de cette pression constante, du déséquilibre entre les efforts fournis et les résultats obtenus, et du manque d'impact concret des travaux de recherche. Beaucoup craignent que cette situation pousse des scientifiques talentueux à quitter le secteur académique. Dr Jesse Zondervan, géoscientifique devenu entrepreneur, évoque cette crise comme un « exode massif de scientifiques brillants et talentueux vers des rôles moins satisfaisants sur le plan scientifique », ou vers des environnements de recherche plus rigides, axés sur des résultats commerciaux ou des postes permanents. Il ajoute que, bien que la perte de personnel puisse être quantifiée, il y a également une « perte d'innovation difficile à mesurer et, par conséquent, un impact significatif sur la société ».
Mais cela pourrait aussi être une opportunité pour l'industrie. Les mécanismes de financement, qu'ils soient privés, publics ou issus de fondations, doivent évoluer pour offrir aux chercheurs la liberté et le temps de produire des travaux de haute qualité et à haute valeur ajoutée. Dougie Allen, directeur d’Aquahydra, expert en aquaculture durable, souligne que dans ce domaine, la planification à long terme et l’adaptabilité sont cruciales pour la survie de la recherche. C’est ce qui mène aux collaborations avec l'industrie et aux réformes nécessaires dans l’aquaculture. Allen insiste sur le fait que
Les investisseurs doivent faire preuve de plus de patience, surtout pour les projets à l'interface de la recherche académique et de l’innovation scientifique.
Ces projets nécessitent du temps, de la collaboration interdisciplinaire et des modèles de financement créatifs.
Il devient essentiel d'harmoniser les motivations pour favoriser les collaborations entre l'académie et l'industrie à l'international, avec pour objectif d'optimiser les résultats et de dynamiser l'innovation.
Transfert de Technologies
Le transfert de technologie est un autre domaine crucial où les mondes académique et industriel doivent mieux s'aligner afin de favoriser le développement de nouvelles connaissances et technologies. Le manque d'harmonie entre les cultures de ces deux mondes peut faire échouer certaines innovations pourtant prometteuses, souvent lié à des problèmes de financement ou de ressources commerciales. D’un côté, les chercheurs se concentrent sur la compréhension des mécanismes et se demandent "pourquoi", tandis que les professionnels de l’industrie cherchent des solutions concrètes et se demandent "comment". En résumé, la recherche académique est motivée par des hypothèses, alors que l’industrie est axée sur les résultats.
La DARRI (Direction des Applications de la Recherche et des Relations Industrielles) de l’Institut Pasteur, dirigé par le Dr Isabelle Buckle, accompagne les chercheurs dans le développement de leurs projets et crée un portefeuille de collaborations avec le secteur industriel. Ces partenariats ont déjà prouvé leur efficacité, notamment avec la commercialisation de vaccins, comme ceux contre l’hépatite en collaboration avec des industriels pharmaceutiques. Certains projets ont même abouti à la création de spin-offs et de start-ups.
Cependant, toutes les institutions n’ont pas les moyens de développer des technologies prêtes à être mises sur le marché. C’est ce que l’on appelle la "Death Valley", cette phase critique où les ressources manquent pour amener une innovation à un niveau de maturité suffisant pour attirer des investissements privés. BIOASTER, 1er institut français d’Innovations Technologiques en Microbiologie, s’efforce de combler ce vide en accompagnant les entreprises dans l’intégration de nouvelles technologies et les adapter à leur développement industriel nous a expliqué Dr Christophe Vedrine, chef de l’unité Bioassays chez BIOASTER. Avec plus de 7 ans d’expérience dans l'industrie et 10 ans à l'interface du transfert technologique, il a joué un rôle clé dans de nombreux projets, notamment ERA4TB, une collaboration sur six ans entre l'Institut Pasteur et GlaxoSmithKline, pour développer de nouveaux traitements contre la tuberculose.
BIOASTER collabore aussi avec des acteurs majeurs comme QIAGEN dans le domaine des diagnostics moléculaires pour créer des tests innovants contre les maladies infectieuses. Le Vlaams Instituut voor Biotechnologie (VIB) en Belgique met également en place plusieurs initiatives de transfert de technologie, identifiant et validant des innovations à fort potentiel pour les adapter aux standards de l’industrie. Ces centres tiers jouent un rôle de passerelle entre la recherche académique et les technologies prêtes à être commercialisées.
BIOASTER has been involved in numerous long term projects, like ERA4TB, a 6-year project, integrating the non-profit Institut Pasteur, and GlaxoSmithKline. Together, they work towards developing new treatments for tuberculosis. BIOASTER also collaborates with prominent entities like QIAGEN, a key player in the molecular diagnostic industry, to create innovative assays against infectious diseases. Similarly, the Vlaams Instituut voor Biotechnologie (VIB) in Belgium has several technology transfer initiatives. These ensure that emerging technologies developed in non-profit institutions with high potential are identified, validated, and scaled to industry standards. Their commitment to innovation extends beyond R&D- strategic partnerships and collaborations are leveraged to develop their own internal catalogue of technology. Third-party centres such as these, facilitate the advancement of technology and serve as a bridge between academic research, and market ready technologies.
La communication est sans doute le principal levier de progrès dans ce domaine. Les chercheurs doivent apprendre à présenter leurs travaux en mettant en avant leurs applications pratiques, rendant ainsi leurs projets plus attractifs pour les partenaires industriels. Cela peut passer par des formations en entrepreneuriat, en études de marché et en analyse techno-économique. WilBe, un incubateur pour fondateurs scientifiques, se consacre précisément à cela, offrant aux chercheurs talentueux les compétences et ressources nécessaires pour exploiter le potentiel commercial de leurs travaux. Devika Thapar, cofondatrice de WilBe, explique que cette approche permet non seulement de valoriser les individus, mais aussi de renforcer les capacités de leurs équipes et institutions.
Du côté industriel, les publications ayant un potentiel commercial sont naturellement plus attractives, que l'on adopte une approche stratégique ou opportuniste. Jesse Zondervan, fondateur en résidence chez WilBe, exprime sa déception vis-à-vis du monde académique, qu’il trouve souvent trop éloigné de l’engagement direct et de l’action concrète. Il souligne que l’académie se concentre souvent sur la production de résultats de recherche, sans forcément penser à leur application à grande échelle ou à leur potentiel sur le marché, ce qui constitue un frein aux collaborations avec l’industrie. Cela n’a pas découragé Jesse de poursuivre dans la science, mais l'a plutôt poussé à orienter ses recherches vers des travaux ayant un impact direct à l’échelle mondiale et sociétale.
Un Appel à Action Universel
Le besoin de résultats et la propriété intellectuelle de l’industrie sont essentiels pour une production compétitive et rapide. En parallèle, la nature hypothétique et exploratoire de la recherche académique reste cruciale pour positionner les chercheurs comme créateurs de connaissances et moteurs de l'innovation. C’est dans cette contradiction que se trouve l’essence même du débat.
À travers les expériences des leaders d'opinion de différents secteurs, il est clair que quelques ajustements peuvent aligner davantage les motivations, comportements et résultats. En intégrant des considérations d’application commerciale dès les premiers stades de la recherche, les chercheurs seront mieux équipés pour dialoguer avec des partenaires industriels et établir des collaborations solides. De même, les mécanismes de financement privé, public et philanthropique doivent mieux comprendre le processus de recherche scientifique pour offrir plus de liberté et de temps, ce qui réduirait la pression et améliorerait la qualité des recherches
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